Solitude contagieuse

Depuis que j’étais petit, je savais que je n’étais pas normal. je vivais dans un monde propre à moi, malgré mes qualités sociales, le nombre d’amis que j’avais, la solitude était la plus proche entre eux à mon coeur. Du coup, à chaque période de ma vie, je construisais une tour de pensées propre à moi, un cadre spatio-temporel en phase avec mes plus profondes imaginations.
Et comme par hasard, chaque fois, la vie m’offrait un lieu, un temple ou je pouvais méditer en solitude extreme. Un lieu associé à mes rêves d’éveillé.
En 1999,On venait de déménager à un des quartiers populaires de Salé. Mon père avait cru sur paroles l’agent immobilier qui lui avait promis que les bidonvilles autour de notre immeuble, allait disparaitre dans un an et que des jardins de toutes les couleurs allaient les remplacer…

…A la maison, j’étais le bras droit de mon père dans les bricolages et la main gauche de ma mère dans les taches ménagères, j’avoue que mon deuxième prénom devait être : MALADROIT. Donc pour limiter les dégâts, j’étais souvent responsable du linge que je mettais au toit commun de l’immeuble. Ce même toit donnait le passage aux immeubles à côté toujours pas habités, ainsi qu’une ancienne usine abandonnée où les jeunes trouvaient refuge pour camoufler leurs délits. Vu que notre linge avait été volé une fois, j’avais proposé aux parents de rester à côté pour le surveiller.
Je passais toutes mes journées à cet endroit ouvert où l’odeur des produits de lessive occupait l’espace. Mon passe temps préféré était de regarder les gens passer en bas, des fourmis au milieu de la couleur grise de l’étain. Parfois, je devenais fou, non civilisé, mon âge me le permettait… J’organisais des challenges :
– Toucher un passant par mon crachat.
– Crier les noms des gens que je connaissais à peine, sans être reconnu.
-Bombarder de cailloux les jeunes “délinquants”, qui utilisaient la toiture de l’usine pour fumer, boire ou faire des bébés.
-Essayer d’abattre des pigeons.
– Dessiner des coeurs à côté des prénoms inscrits à la porte de la toiture, tout en ajoutant un autre prénom. (Des prénoms que je sélectionnait soigneusement parmi ceux de mes voisins)

Et ce ne sont que des exemples ..

Un jour, le soleil tapait fort, même ma maison construite par des draps ne m’épargnait pas la sensation d’être dans un four. Je cherchais de l’ombre que je n’ai pas trouvé, j’ai décidé d’élargir le périmètre de ma recherche. J’ai donc brisé le pacte conclu avec ma mère, j’ai escaladé le mur entre nous et les voisins.
J’étais proche de mes présumés ennemis qui s’abritaient à l’usine, je savais que je courais le risque d’être tabassé par eux. Mais je craignais plus que mon père monte pour me ramener quoi grignoter et qu’il ne me trouve pas dans ma demeure habituelle.
En cherchant de l’ombre, j’ai finit par trouver une petite fenêtre qui menait à l’immeuble inhabitée. J’avais 7 ans, ma taille était parfaite pour se faufiler.
Je me trouvais dans le dernier étage d’un bâtiment ou moi seul était capable d’y accéder. De la poussière partout, la fraicheur de la mort était l’étiquette collée au front des murs. L’odeur de la peinture n’avait pas encore trouvé une issue pour s’échapper. La couleur blanche était reine à l’intérieure et n’avait pas encore invité le gris à se mêler de ses affaires.
5 étages, 17 appartements, 165 escaliers. Tous ceci était à moi, j’étais dans mon espace personnel. Je ne l’ai jamais montré à personne. J’ai même fermé la fenêtre par une planche pour éloigner les curieux.
Mes initiales étaient sur toutes les portes, j’ai finit par utiliser presque toutes les toilettes et pour chaque étage j’avais assigné une occupation précise. Je faisais mes devoirs au 5 ème, j’aimais danser au premier, lire au 3 ème, cacher mes objets au 4 ème, le deuxième était mon préféré, je n’y faisais rien.

Bref, après moins d’un an, mon immeuble a été cambriolé. On m’a tout volé. Les portes, les lavabos, les baignoires … Ma cachette était grillée.
En 2009, les premiers appartements ont été vendus. Un jour en passant devant la porte de mon ancienne propriété, j’ai redonné le control au gamin de 7 ans qui vit toujours en moi, j’ai sonné à l’interphone en appuyant sur tous les numéros.
-C’est qui ?
– “l’Gharbaoui”
-Ok, entrez
“Ba l’Gharbaoui”, était notre concierge commun, je savais qu’il n’avait pas les clés et qu’il entrait souvent à l’immeuble pour multiples raisons.
L’odeur de la peinture avait finit par disparaitre pour donner sa place à l’odeur des épices. les murs n’étaient plus froids, les portes n’étaient plus blanches. Je savais que l’immeuble était aussi nostalgique que moi, à ce moment de re-découverte.
Le silence absolu n’est plus, le bruit des disputes entre couples et les gémissements des bébés dominent maintenant les couloirs.
Je monte les escaliers, je me rapproche de mon étage préféré, à la porte du 5 ème appartement je m’arrête et je souris. Quelqu’un à toucher à mes initiales :

ZM + AF =  

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