A une prochaine, compagnon !

Je l’ai pris entre mes mains, sec et plein de rides dû aux voyages qu’il a entrepris à mes côtés. Il n’avait plus une allure vive et brillante comme au début. Comme si cette lueur m’a été transmise au fur et à mesure que je le découvrais. Il a suivi le cycle de la vie, tournant chaque page à sa façon et construisant chaque passage tel un maçon.

Le jour ou son heure est arrivée, il était pâle et léger. Il savait que c’était la fin, les dernières lignes droites ou inclinées, ceci ne l’importait guerre. Une lecture diagonale du contenu de sa vie était sa peur ultime.
Il savait que c’était la fin, il ne dormirait plus à mes côtés, il ne se chargerait plus de garder mes billets de train et surtout il ne prendrait plus ces gouttes chaudes de thé vert sur sa face que je laissait tomber à chaque fois que je me trouvait devant lui ma tasse à la main. Il est maintenant sûr que je trouverai un nouveau compagnon, peut être plus jeune et dynamique, que je finirai par l’oublier après un certain moment et qu’à la fin il ne sera qu’un épisode de ma vie.

Une coincidence, ou pas, ses derniers souffles ont été rendus le 14 Février 2018, à l’entrée de Paris, juste avant un message souhaitant un joyeux Saint Valentin aux passagers du TGV 6610. J’ai senti mon coeur se serrer contre ma poitrine, un soulagement amer a suivi. J’ai remis le Bookmark à la première page et j’ai relis ce qui était écrit dessus en turc : “HAYAT KISSA” , la vie est courte..

Je n’ai jamais été bon aux séparations, je redeviens un enfant à chaque fois. Dans des cas c’est parce que je suis parfait, ou pas, et des fois c’est parce qu’on a que ce qu’on mérite. Cette fois, je méritais d’avoir une meilleure fin. Je n’ai pas apprécié ta fin, compagnon ! Mais,est-ce que les fins sont écrites pour être appréciées ?

Je suis à l’aéroport de Beauvais, je me dirige vers la librairie pour trouver un nouveau compagnon car je veux bien un nouveau début. Je fouille dans les nouveautés, que des histoires d’amour comme si c’est ce qui me manquait dans cette vie. L’amour ! un mot qui veut tout et rien dire. C’est même moi qui avait écrit il y a de cela presque un an :

“L’Amour n’est pas encré dans le repère spatiotemporel, au contraire c’est le sentiment qui désoriente les lois terrestres. L’amoureux voit la vie en rose, une couleur qui n’est même pas associée à une fréquence d’onde, une interprétation pure du cerveau. Il a un noeud dans le ventre, sans avoir une occlusion intestinale. Un dérèglement de la pulsion du coeur sans risquer une crise cardiaque. Il vole au-dessus des nuages, défiant ainsi toutes les lois de la physique. C’est à cause de cette donnée que la bêtise de l’amour est acceptée. Les crimes de passion sont jugés différemment. Le suicide des amoureux est vu comme un acte de bravoure, tandis que dans la pièce d’à côté le suicidaire n’a que la dépression comme compagnon et meurt généralement en solitaire. L’amour est ainsi une illusion véridique, un alibi, une excuse fatale.”

C’est en te lisant, compagnon, que je me suis rendu compte que l’amour n’était qu’une flèche plus abstraite que celle de Cupidon. Et que le paradoxe de l’archer ne marche pas comme prévu quand l’arc n’a ni poignée, ni corde.
Je suis sorti de la librairie sans rien prendre, je me suis rappelé que j’adore avoir un livre comme compagnon, mais je n’ai jamais été monogame. J’apprécie plus un stylo et une feuille blanche..

J’ai finit par écrire ses mots en ton honneur compagnon, pour te remercier et pour remercier l’âme qui m’a permise de t’avoir pendant cette épreuve de ma vie.

Et à toi qui me lis, je me permet de te poser la question :

Comment va ton coeur ?

Sufi mon amour -Elif Shafak-